PROJET de DÉPOLLUTION

Menu : DESCRIPTIF - PARTENAIRES - BILLET D'HUMEUR - POLLUTIONS - LOGISTIQUE

ACCUEIL

Médias :  - PHOTOS - VIDEOS - PRESSE - TOPOS - CARTO

Aven de Chazot - une macabre mission
par Robert de Joly - 1946

Printemps 1945. Me trouvant dans l'aven d'Orgnac, une dame que je n'avais jamais vue, m'aborde et me demande un entretien particulier. Nous nous écartons du public et elle me dit : « Je suis native du village voisin, j'étais mariée à un habitant du bourg situé non loin d'ici, et mon époux a disparu peu avant la Libération. Mon idée est qu'il a été précipité dans quelque aven des environs, je crois que ce doit être dans celui de « Chazot », voudriez-vous y aller ? ».

Je lui réponds que ce gouffre a déjà été exploré par moi il y a quelques années, que sa description en a été publiée et que je n'y descendrai à nouveau que sur ordre du Procureur de la République - je ne tenais nullement à me mêler de règlements de comptes politiques que je pressentais.

Au bout d'un mois, cette personne me donne copie de l'autorisation officielle et des formalités à remplir. J'alerte un camarade dévoué, on avise la famille du disparu, et le juge de Paix du canton qui doit assister à nos opérations.

Nous voilà donc, un beau matin, au bord du « Chazot », aven qui ne m'avait pas laissé un bon souvenir car sa situation, proche d'une grand-route, donc très accessible, l'avait (contrairement à la loi du 15 février 1902), destiné à devenir un immonde dépotoir pour toutes les bêtes crevées des environs. Si, de sa bouche, on a une vue pittoresque sur les montagnes ardéchoises et si on y respire un air salubre, il n'en est malheureusement pas de même à l'intérieur ! Lors de la première exploration, il y avait sur le premier relais (à - 31 mètres) un charnier aussi épais que nauséabond.

Le juge de Paix nous dit : « S'il y a des corps humains, n'y touchez pas. Remontez afin que je puisse avertir le procureur qui viendra immédiatement de Privas ».

Arrivé au relais, j'aperçois, en plein milieu, un gros obus de 155, non éclaté. A côté, décomposées, deux formes humaines.… Le charnier de 1934 a dû glisser sur la pente rapide au relais suivant et ces deux hommes gisent sur la pierraille. L'odeur est infecte, mais une cigarette de tabac de Virginie permet de « tenir le coup ».

Je téléphone à la surface. Mon camarade Robert Orengo, du groupe de Montpellier, vient me rejoindre et nous édifions une murette autour de l'obus, ainsi qu'un toit fait d'une dalle pour parer à tout danger. Nous serions incontinent volatilisés si, au cours de manœuvres ultérieures, une pierre venait à toucher la fusée amorcée ! Par un des témoins de la surface, nous venons d'apprendre que c'est lui qui ayant trouvé cet obus sur la route l'avait précipité dans l'abîme. Il n'en fallait pas plus pour l'amorcer !

Nous remontons pour respecter les ordres et trouvons le public fort agité en train de commenter notre découverte. L'émotion était grande car, pendant que mon collègue descendait, j'avais poussé une reconnaissance au relais suivant (- 46 mètres) et avais trouvé un troisième corps enchevêtré dans une motocyclette et des os d'animaux.
Cependant que nous déjeunons, en attendant l'arrivée du procureur, l'assistance nous mitraille de questions. Notre sort n'est guère envié !

Bientôt le magistrat nous donne ses instructions : remonter les corps en mettant à part les pièces à conviction qui permettront de les identifier. Nous prenons donc nos dispositions et préparons les sacs, le masque, les gants de caoutchouc, l'essence de lavande...

Le jeune Orengo n'a jamais encore eu l'occasion de manipuler de tels restes et il va en souffrir jusqu'à la nausée. Il faut avouer qu'ici la puanteur est pire qu'à la fosse de Celas (cf. notre récit : « Vision de cauchemar ») où. les corps se trouvaient dans l'eau : la décomposition a été plus active. Dans un sac, nous glissons ceintures, chaussures, etc. et, dans un autre, non pas la totalité des corps mais ce qui veut bien se détacher.

C'est absolument ignoble comme besogne et l'atmosphère ambiante est d'une épouvantable fétidité. Un liquide verdâtre s'échappe des fragments humains, des vers rampent vivement, dérangés dans leur travail destructeur...

Les deux premiers corps ensachés remontent lentement au bout de la corde. C'est alors que la manœuvre fait se détacher de la paroi une pierre volumineuse ... Cachés dans une anfractuosité, nous la voyons tomber exactement sur la construction de pierres sèches recouvrant l'obus. Nous bénissons notre prudence, notre sage précaution !

Très courageusement, Orengo descend au relais suivant pour s'occuper du troisième homme. Il s'acquitte de sa tâche avec dévouement mais réapparaît très pâle et souhaitant changer d'air.
Sur les trois crânes, deux sont éclatés sous l'effet de balles tirées dans la nuque. L'autre semble ne pas avoir reçu de projectile. On racontait, en haut, que l'un des condamnés se serait précipité volontairement dans l'abîme avant d'être fusillé.

Affreux drames d'une période troublée.

Le téléphone nous signale qu'une camionnette vient d'apporter des cercueils. Ils seront bien trop grands pour ces malheureux restes.

Enfin, nous remontons. Monsieur le procureur me demande d'établir un rapport descriptif qui sera versé au dossier. La veuve, quant à elle, n'est pas sûre d'avoir reconnu son mari. Tristes temps...

Pauvres spéléologues décidément mis à « toutes les sauces » !