PROJET de DÉPOLLUTION

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Billet d'humeur
l'Aven de Chazot ... ou le culte du vieux sage en question

Longtemps, nous autres jeunes, représentant d’une génération sans cesse ballottée entre les contradictions d’une époque en mouvement et des références culturelles et historiques de plus en plus critiquables, avons souvent été priés de respecter les valeurs de nos anciens, d’apprécier l’action des générations nous précédant, de vénérer ce culte des anciens comme un mode de vie à idéaliser.

Mais à la réflexion, qu’en est-il vraiment ? Pouvons nous dire en effet que l’exemple de l’Aven Chazot, soit porteur de valeurs dont il faudrait nous inspirer pour notre génération et celles à venir. Et que dire encore de cette initiative de dépollution exclusivement portée par des jeunes générations et presque ignorée par ces générations de nos aïeux pourtant coupables de cette pollution massive et délibérée ?

L’Histoire ici nous accuse. Contrairement aux jeunes spéléologues qui s’engouffrent dans l’Aven, les chroniqueurs contemporains ne prennent plus de gants sur cette question ; d’un côté « nous entourons d’une véritable vénération les œuvres des grands artistes : peintres, sculpteurs, musiciens. Nous construisons des musées qui sont un peu l’équivalent des temples d’autres sociétés, pour les y recueillir, et il nous apparaîtrait comme un désastre, une catastrophe universelle, que toute l’œuvre de Rembrandt ou de Michel-Ange fût anéantie … Mais de l’autre, que faisons nous des chefs d’œuvre de la Nature ? Sommes-nous seulement capables de les respecter ? Lorsqu’il s’agit de synthèses infiniment plus complexes encore, et infiniment plus irremplaçables aussi, que sont les milieux souterrains, les réseaux phréatiques complexes, alors nous agissons avec une irresponsabilité, une désinvolture totale » (Claude Lévi-Strauss - 1973). Nous sommes prêts à respecter une œuvre de la pensée humaine, mais pas prêts à respecter l’œuvre de la Nature, pourtant bien plus authentique et profondément liée à notre propre histoire humaine. 

Cette sorte de paradoxe contemporain fait de l’homme aujourd’hui encore un maître, un seigneur absolu de la création pouvant s’affranchir de considérations environnementales. Certaines pensées communément admises par un grand nombre véhiculent l’idée que l’homme a reçu la Nature des mains de Dieu, afin d’en jouir à sa guise, puisque de toute manière, en vertu du péché originel, « la Nature est maudite ». La Nature est vue comme un objet et non comme un sujet à part entière. 

Cette cavité hautement symbolique pose en effet la question du respect de la Nature ; C’est parce que notre sensibilité contemporaine nous mène désormais à nous interroger plus qu’avant sur notre relation à l’environnement que nous pouvons apprécier de manière lucide la flagrante dégradation volontaire au cours du siècle passé, et sans doute même au-delà, de ce milieu pourtant extrêmement fragile.

Mais faut-il pour autant culpabiliser ces pratiques, dés lors que la morale qui s’imposait alors ne les condamnait pas, et que l’activité humaine elle-même n’offrait guère à l’esprit le temps ou l’opportunité de se soucier des conséquences de ces actes pour les générations à venir ?

Les habitants qui y jetaient leurs immondices affirmaient qu’ils n’avaient pas le choix, que leurs aïeux avaient toujours procédé ainsi et que personne finalement ne s’en souciait vraiment. Même les efforts d’Edouard Alfred Martel qui fit adopter en 1902 par le parlement une loi visant à protéger le milieu souterrain ne changea pas les mentalités. Cette pratique de l’oubli facile, par la disparition dans les abîmes, se perpétua encore de longues décennies durant.

Il est nécessaire que l’homme cesse de voir dans la Nature un simple objet, pratique exutoire de ses déchets. Il est irresponsable de penser que la Nature est une simple chose dont on peut disposer à sa guise. L’homme fait partie de la nature et doit penser la Nature non plus de manière fragmentaire, mais comme une totalité. La mise en évidence des cycles de la Nature peut nous permettre de reconnaître l'interdépendance des milieux, la relation entre l’Aven Chazot et l’eau qui y transite par les réseaux inférieurs, désormais impropre pour longtemps. Nous devons ouvrir les yeux sur les conséquences à long terme de la dégradation de ce milieu, et regarder en face la mise en cause de cet environnement pour les générations à venir pour comprendre à quel point nous dépendons de ce milieu.

Le respect d’un milieu suppose la reconnaissance d’une valeur devant laquelle toute action portant un risque environnemental doit s’arrêter pour ne pas lui porter atteinte. Plus que pas le passé, une obligation dramatique et non négociable s’impose désormais à nous : nous n’avons plus le choix, ou bien l’homme respecte la Nature et il y a un avenir pour l’humanité, ou il ne respecte pas la Nature et il n’y a pas d’avenir du tout. Les catastrophes écologiques nous reconduisent régulièrement à cette évidence. 

Dès lors, il devient indispensable de changer notre relation à la Nature. Le projet de dépollution de l’aven Chazot nous offre une formidable opportunité de racheter ces décennies de dégradation, plus ou moins volontaires, tout à fait responsables. Il est nécessaire d’établir localement un contrat social pour fixer les limites de la conduite morale régissant les rapports entre les citoyens locaux et le milieu souterrain, dans la continuité sans travers des engagements d’Edouard Alfred Martel. 

En voyant enfin dans la Nature un sujet de droit, nous devrons apprendre à la respecter au même titre que nous respectons les ouvrages de l’homme. Alors seulement l’idée de respect de l’environnement commencera à prendre un sens.

Mais que pouvons nous donner à la Nature, nous autres postmodernes qui n’avons jusqu’à présent fait qu’en profiter ?

Pendant des siècles la politique a ignoré l’importance de l’insertion de l’homme dans la Nature. Pendant des siècles les pouvoirs locaux ont fermé les yeux sur le saccage de la Terre, et il faut maintenant que l’odeur putride du fond de l’Aven commence à remonter à la surface pour que nous commencions enfin à prendre conscience de notre responsabilité envers la Nature. 

Il est trop tard pour sauvegarder la cavité telle qu’elle nous fût offerte originellement, mais il n’est pas trop tard pour sortir de notre léthargie et tenter enfin de réparer ce que nous pouvons encore préserver. Désormais, les pouvoirs locaux doivent sortir des préoccupations strictement humaines, d’urbanisme et de budget, et redonner enfin au mot Nature son sens originel. 

Il n’est plus possible de raisonner en termes de rivalités locales ou partisanes quand l’enjeu est la survie du milieu naturel. Aimer la Terre entière tout en saccageant le milieu, voilà l’hypocrisie fréquente des moralistes qui ont restreint la loi aux seuls hommes. Les dégâts écologiques procèdent le plus souvent d’une situation sociale qui nécessite des décisions pratiques mais irrémédiablement nocives pour l’environnement. 

A l’heure actuelle, il semble que seuls les pouvoirs locaux semblent en mesure de contrebalancer les considérations qui conduisent à ces pratiques. C’est donc au politique qu’il appartient de décider de protéger les milieux naturels, de veiller au respect des normes de pollutions (de la loi de 1902 jusqu’à la toute récente directive européenne de protection du milieu souterrain).

Cela suffira-il ? 

Suffit-il que les pouvoirs locaux sensibilisent leurs concitoyens par le langage de la morale pour changer la relation de l'homme à la Nature ? Bien des exemples, locaux et contemporains nous laissent profondément dubitatifs.

Ce dont nous avons besoin, c’est d’une révolution de la conscience, quitte à l’accompagner de dispositions réglementaires formelles. Il est urgent que notre regard sur la nature se modifie du tout au tout, que nous cessions de penser nos actions de manière fragmentaire, pour les voir de manière globale. 

Le fait de répandre des abats de boucherie, des animaux malades mais pas encore tout à fait morts, des résidus de maçonnerie et des produits toxiques organiques et militaires dans un milieu caché et invisible a longtemps constitué une façon de se décharger de contraintes matérielles et de faciliter l’oubli. Mais à présent, le temps de la mémoire est venu, il nous faut désormais tirer les leçons et apprendre à penser autrement notre relation à l’environnement

Ce dont nous avons peut-être le plus besoin pour apprendre à respecter la Nature, c’est d’éprouver une sensibilité très vive avec elle, ce dont notre société de confort nous dispense cruellement. Seule la sensibilité permet le contact avec la Nature, et sans ce contact, nous n’avons de relation à la Nature que sur un mode de pensée utilitaire. Coupé de tout rapport avec la nature, nous devenons nuisible. On peut alors saccager le milieu sans le moindre remord, ce qui s’est toujours passé dans les esprits de ceux qui devant l’orifice de l’Aven, à peine cachés, y ont jeté, inconscients et aveugles du lendemain, des tonnes de déchets. 

Le commandement moral de respect de la Nature est insuffisant. Seule une relation fondée sur la conscience naturelle, assortie de craintes justifiée d’une condamnation ferme et exemplaire en cas de flagrant délit de pollution, peut révolutionner notre considération environnementale, de manière durable. Le respect de la Nature ne peut se restreindre à une recommandation issue d’un gentil moralisme à l’usage des enfants. La question du respect du milieu naturel souterrain est beaucoup plus grave car elle met en cause à la fois notre mode de pensée fragmentaire, notre avidité égocentrique et notre indifférence stupide devant la Nature.

Le respect de l’environnement ne répond pas seulement à des obligations morales. Les raisons que l’on pourrait avancer de devoir respecter le milieu ne sont pas non plus seulement d’ordre économique. La relation de l’homme à la Nature est la relation de l’homme à la réalité. L’écologie, en tant que discipline à part, n’a pas non plus le monopole de la notion de respect de la Nature. Le respect de la Nature renvoie à notre conscience limitée, étroite, fragmentaire, conscience qui doit être changée pour que l’humanité retrouve un avenir dans une Nature originelle, riche et vivante et pas dans un monde pauvre, souillé et mort. 

La dépollution de l’Aven Chazot constitue une formidable opportunité d’éveiller cette conscience naturelle en impliquant ceux là mêmes qui des décennies durant ont saccagé le milieu sans la moindre conscience de leurs actes afin qu’ils assistent moralement, physiquement et matériellement, de toute leur énergie, ces nouvelles générations volontaires et soucieuses par leur initiative de dépollution de retrouver une nature propre et authentique telle que leurs aïeux auraient du leur léguer. Ne laissons pas passer cette chance de nous réconcilier avec notre environnement, et par la même, de réconcilier nos générations, finalement bien frêles au regard de l’œuvre géologique et magistrale de la Nature.